Éditorial alire 11

Placer sur le réseau l’éditorial d’une revue sur CDROM. Peu banal. Et pourtant dans la droite ligne de la tradition éditoriale d’alire. La revue a toujours réalisé une distinction entre les oeuvres qui nécessitaient le support informatique lors de la lecture, et les informations qui pouvaient être portées sur papier. Dans les numéros précédents, les disquettes ou CDROM étaient ainsi accompagnés d’un livret ou d’un livre. Le WEB a modifié cette donnée. Si la revue est connectée, pourquoi ne pas transférer le livret en ligne ?

Trahison et négation des spécificités du réseau ? Les auteurs qui créent pour le réseau se poseront peut-être la question. La toile a initialement, et reste toujours fortement, une immense bibliothèque à ciel ouvert, offerte à tous les regards. Le dispositif informatique off-line était un outil de calcul, il a donné naissance à des oeuvres qui calculent et fabriquent en temps réel. Le réseau est monde d’information, pourquoi ne donnerait-il pas naissance à des oeuvres qui jouent de l’information ? Je ne prétends pas, bien sûr, qu’un éditorial en ligne soit une telle oeuvre. Mais c’est bien le rôle de bibliothèque-médiathèque que font jouer au WEB les auteurs qui proposent des animations ou des oeuvres mixes texto/sono/visuelles. L’intérêt de telles oeuvres repose sur ce qui donné à voir ou sur la surface du dispositif hypertextuel propre à la structure d’une oeuvre html mais plus du tout sur la profondeur du dispositif. C’est ce qui ressort du site local du CDROM.

Une oeuvre y fait exception : " tue-moi " d’Eric Sérandour. C’est la seule qui joue sur cette profondeur du dispositif. Cette profondeur est constituée de tous les présupposés avec lesquelles le lecteur aborde et guide sa lecture. Or ceux-ci sont différents selon que l’oeuvre est effectivement sur réseau ou ne l’est pas. C’est justement ce simple transfert de l’oeuvre d’Éric entre un site réellement sur le réseau et un site sur CDROM, qui " tue " l’oeuvre, au moins lorsque le CDROM n’est pas connecté. Ce qui montre qu’une oeuvre peut ne pas être limitée aux matériaux (objets et processus) qui la composent ou qui sont réalisés ou générés à la lecture. Les oeuvres littéraires informatiques travaillent, au moins pour partie d’entre elles, sur le processus complet de communication, en incluant tous les éléments de méta-communication. " Tue-moi " est ainsi un piège-à-lecteur, dans la plus pure tradition d’alire.

Mais pourquoi donc, me direz-vous, avoir créé un site local connecté aux sites des auteurs sur le CDROM, et ne pas l’avoir transféré sur le WEB ? Tout simplement parce que mis à part le cas de " tue-moi ", ces oeuvres n’ont nul besoin du WEB. Elles utilisent, certes, l’interface visuelle et logicielle du réseau, mais aucune autre caractéristique de ce dispositif. Pourquoi, dès lors, en limiter l’accès au réseau ? Les sortir en améliore la fluidité, les ouvre sur d’autres horizons, les décloisonne enfin pour les ouvrir au monde " réel " : le réel ne craint pas le réel.

Cette cohabitation entre un site local et des oeuvres de technique logicielle plus traditionnelle montre enfin la très grande cohérence entre ces oeuvres et les autres oeuvres d’alire 11, non portables sur le réseau. C’est bien la première caractéristique de ce numéro, qui tranche avec l’ensemble des numéros précédents : sa très grande cohérence. Cohérence des styles tout d’abord : le numéro est massivement composé d’oeuvres animées ou multimédia. Cohérence technique ensuite : pour la première fois l’ensemble (moins l’une exception qui confirme la règle) des oeuvres est accessible sur les deux plates-formes : MAC et PC. Globalement tous les auteurs utilisent maintenant les mêmes outils logiciels. La standardisation à ce niveau semble totale. Mais elle ne rime pas avec nivellement des propositions. Signe que tout est en place, dorénavant, pour que la littérature informatique se développe pleinement, et, dirais-je, banalement. Comme tout champ constitué. Dans la créativité.

Ph. Bootz, avril 2000

 

dernière mise à jour : 03/06/2000

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